vendredi 2 octobre 2015

Construire une nouvelle majorité politique syrienne

Des chefs de diplomatie de « grandes » nations occidentales évoquent aujourd’hui la possibilité de normaliser avec Bachar Al-Assad pour lutter contre le « terrorisme ». Ce positionnement intervient après 4 ans et 6 mois d’inaction internationale et de pourrissement de la situation, qui ont favorisé l’émergence depuis avril 2013 de l’Etat Islamique. Dans les faits, le bilan est extrêmement lourd : plus de 250 mille morts, de 250 mille disparus et détenus, de 11 millions de déplacés – dont 4,5 millions à l’extérieur de la Syrie.
Ce choix politique indécent de traiter avec Assad est voué à l’échec pour de multiples raisons. Pour rappel, trois « réalités syriennes » illustrent l’impasse dans laquelle se fourvoient les occidentaux.

Qui tue qui en Syrie ?
Les derniers rapports de plusieurs organisations syriennes et internationales, confirment – statistiques détaillées à l’appui - ce qui est largement connu par tous ceux qui suivent le calvaire syrien : le régime Assad est responsable de la mort de plus de 90% des victimes civiles. Il est également à l’origine du déplacement de la grande majorité des réfugiés qui fuient ses barils explosifs. Il est enfin coupable de la montée en puissance des groupes nihilistes du fait de la destruction de toute forme de citoyenneté et d’espaces propices à la construction de l’acte politique.
La question que posent des syriens aujourd’hui est : Comment peut-on justifier une alliance avec un tueur de masse pour combattre d’autres criminels qui sont arrivés bien après ses massacres, et souvent à cause d’eux ? Question légitime et pertinente car elle affirme que toute alliance externe avec le régime contre Daech profiterait probablement à ce dernier et mobiliserait peu de syriens.

Est-ce vrai qu’Assad a les moyens de combattre Daech ?
Certains occidentaux prétendent que l’alliance avec Assad pour combattre Daech est une option pragmatique. Ils ne contestent pas le caractère criminel et despotique d’Assad, mais ils estiment que Daech est la barbarie absolue, et la vaincre est l’ultime priorité.
Si l’on écarte les aspects éthiques de ce raisonnement (à savoir qu’Assad est de loin plus criminel que Daech) et le peu de respect qu’il manifeste aux syriens, cet argument n’a rien de pragmatique. Même s’il était de bonne foi, il n’est en réalité qu’un mélange de naïveté et d’ignorance, car Assad ne contrôle aujourd’hui que 20% du pays, et ce grâce aux milliards de dollars et aux livraisons d’armes en provenance de la Russie et de l’Iran. Il reconnait lui-même qu’il a un problème de ressources humaines et qu’il compte de plus en plus sur les milliers de combattants du Hezbollah libanais, des milices chiites iraquiennes et afghanes. De plus il a perdu toutes les batailles que Daech a menées contre ses troupes (Palmyre étant la dernière). A contrario, Daech n’a vaincu ni l’opposition bombardée par Assad, ni les kurdes soutenus par les occidentaux. En clair, Assad est l’acteur le moins performant militairement en Syrie aujourd’hui, et l’arrivée des troupes russes n’en est qu’une preuve supplémentaire.


Comment en finir avec le désastre syrien ?
En conséquence, il serait illusoire voire dangereux de croire qu’une alliance avec Assad permettrait de mettre fin au « conflit syrien » ou même vaincre l’Etat islamique. Cette approche prônée par des occidentaux qui consiste à préférer les « fascistes cravatés » aux « fascistes barbus » est un franc encouragement aux crimes contre l’humanité dans le Moyen-Orient et un soutien ouvert à l’impunité. C’est le meilleur moyen de nourrir les frustrations et le sentiment d’injustice qui iront conforter les tendances jihadistes les plus radicales et favoriser le terrorisme international.
Le seul moyen de trouver une issue pour ce conflit serait de construire une nouvelle majorité politique syrienne.
Aujourd’hui une frange regroupant une large partie de la majorité anti-Assad ainsi qu’une très large partie de la minorité pro-Assad estime que le combat contre Daech est une nécessité vitale, voire une guerre de libération. Les anti-Assad considèrent que cette lutte ne peut se faire qu’après la chute de la famille tyrannique au pouvoir depuis 45 ans. Cela signerait déjà la fin de ses bombardements aériens et ses massacres qui poussent les gens au désespoir au point de justifier parfois certains agissements de Daech. La minorité pro-Assad prétend quant à elle défendre encore le dictateur par crainte de voir Daech occuper tout le pays. Le seul compromis possible entre ces deux camps serait de voir évoluer leurs positions vers la formation d’une nouvelle majorité politique prête à combattre Daech et en même temps à lâcher Assad.

Ainsi, une réconciliation politique pourrait avoir lieu sur la base d’une mobilisation militaire et sociétale commune contre Daech et la mise à l’écart d’Assad, premier criminel dans le pays.
Sans un processus basé sur l’équation ci-dessus (ni Bachar ni Daech), la tragédie syrienne risque de perdurer et de produire encore plus de destruction, de réfugiés et de crises dans le pays et dans toute la région.
Ziad Majed
Article publié dans L'Orient Littéraire du 1er Octobre 2015 (rédigé avant l'agression militaire russe)