lundi 5 mars 2018

France - Syrie, ou la diplomatie du levier

Dans son ouvrage « Chirac, Assad et les autres » (PUF, octobre 2017, préface de Henry Laurens), Manon-Nour Tannous analyse les relations entre Paris et Damas depuis le départ des troupes françaises de Syrie en 1946 jusqu’au déclenchement de la révolution syrienne en 2011. Son travail offre un éclairage indispensable pour la compréhension des relations franco-syriennes, en les inscrivant dans trois temps de leur histoire.

Rupture puis normalisation

Le premier temps s’étend de 1946 à 1976. Il est marqué par des tensions puis par une rupture en 1956 suite à la crise du canal de Suez. Les relations entre les deux capitales ne reprennent qu’en 1962, à la fin de la guerre d’Algérie et resteront froides jusqu’au milieu des années 1970. Sur l’agenda de Damas, sont à l’ordre du jour (et de la propagande) le nationalisme arabe, le discours « anticolonial » et la dénonciation des politiques mandataires de la France qui avaient détaché le sandjak d’Alexandrette (et le Liban) de la « patrie syrienne ». Du côté français, la méfiance et l’inquiétude sont de mise vis-à-vis d’une Syrie « arabe musulmane et puis socialiste » par opposition à son voisin Libanais «chrétien et occidentalisé».

A partir du coup d’État de Hafez Assad en 1970, cette configuration évolue avant de changer radicalement marquant le début du second temps.
Assad intervient dans les dossiers régionaux pour occulter les questions relatives à l’intérieur du pays, et pour asseoir sur le plan international sa capacité de nuisance comme de stabilisation dans le Moyen-Orient. La Syrie devient incontournable pour les gouvernements successifs à Paris.

Assad et la politique du « pays tiers »

Entre les deux pays s’installe alors une relation sous forme rarement bilatérale. Elle se tisse souvent autour d’un pays tiers : le Liban de la guerre civile que l’armée syrienne envahit et occupe à partir de 1976, le conflit israélo-arabe et la cause palestinienne que Damas essaye d’instrumentaliser, ou l’Iran isolé après 1979, dont le seul allié reste la Syrie.

Assad offre à la France, à travers son rôle régional central, la possibilité de s’imposer sur ces dossiers importants. En retour, il obtient une reconnaissance qui renforce son régime de tyrannie, et une ouverture de portes sur l’Europe, voire sur l’Occident.

Peu à peu s’installe à Paris (à partir des années 1980) une conviction accompagnée d’une crainte de voir le président syrien redoubler de férocité s’il venait à être isolé. Cette conviction partagée par François Mitterrand puis par Jacques Chirac donne de facto le loisir à Damas de choisir les priorités dans l’agenda diplomatique. Elle octroie ainsi à Assad un rôle encore plus central dans l’échiquier politique moyen-oriental.

Et lorsque la succession présidentielle familiale en Syrie a lieu en 2000, Chirac (seul chef d’état occidental à se rendre aux funérailles d’Assad père) parraine Assad fils sur la scène internationale. Ce moment coïncide avec une entente franco-syrienne contre la guerre américaine en Irak en 2003. Tout semble augurer d’une phase nouvelle de la relation entre les deux capitales.


Bachar Al-Assad et la nouvelle rupture

Toutefois, les relations se détériorent entre Paris et Damas aussitôt que Chirac appelle le jeune président syrien à desserrer l’étau sur le Liban dirigé par son ami Rafic Hariri. L’assassinat de ce dernier en 2005 inaugure un troisième temps dans l’histoire des relations franco-syriennes qui se solde par une rupture violente mettant fin à la « diplomatie du levier ».
Si Nicolas Sarkozy en 2008 renoue avec l’ancienne politique de dialogue pour « contenir la nuisance du régime », le déclenchement de la révolution syrienne en 2011 et la répression féroce qui a suivi ont acté de nouveau un divorce qui se maintiendra sous François Hollande.

L’arrivée de Macron au pouvoir et son positionnement hésitant risque-t-il de mettre un terme à cette phase ? Rien n’est encore établi. Par contre, ce qui est sûr c’est que la tendance politique donnant la primauté aux « hommes forts » qui servent de gardes-frontières en Méditerranée fait son retour en France comme en Europe. Et c’est une mauvaise nouvelle pour les droits humains, la démocratie et le droit international.

Ziad Majed

Article paru dans l'Orient Littéraire le 1er Mars 2018.